« Histoire et évolution des communs » : différence entre les versions

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Premier jet Michel Bauwens, 28/7/2017 :


Est-il possible d'historiciser les communs, de décrire l'évolution des communs dans le temps?
Est-il possible d'historiciser les communs, de décrire l'évolution des communs dans le temps?
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Ce mode de production et de distribution cosmo-local (DGML: conception global, fabrication local) présente les caractéristiques suivantes :
Ce mode de production et de distribution cosmo-local (DGML: conception global, fabrication local) présente les caractéristiques suivantes :


*Coopérativisme des protocoles : les protocoles immatériels et algorithmiques sous-jacents sont partagés et open source, utilisant des principes de copyfair (libre partage des connaissances, mais commercialisation conditionnée par la réciprocité)
* Coopérativisme des protocoles : les protocoles immatériels et algorithmiques sous-jacents sont partagés et open source, utilisant des principes de copyfair (libre partage des connaissances, mais commercialisation conditionnée par la réciprocité)
*Coopérativisme ouvert : les coopératives basées sur les communs se distinguent du "capitalisme collectif" par leur engagement à créer et à développer des communs pour l'ensemble de la société; dans les coopératives basées sur les communs, ce sont les plates-formes elles-mêmes qui sont les communs, nécessaires pour permettre et gérer les échanges qui peuvent être nécessaires, tout en les protégeant de la capture par des plates-formes extractives et hiérarchiques.
* Coopérativisme ouvert : les coopératives basées sur les communs se distinguent du "capitalisme collectif" par leur engagement à créer et à développer des communs pour l'ensemble de la société; dans les coopératives basées sur les communs, ce sont les plates-formes elles-mêmes qui sont les communs, nécessaires pour permettre et gérer les échanges qui peuvent être nécessaires, tout en les protégeant de la capture par des plates-formes extractives et hiérarchiques.
*Comptabilité ouverte et contributive : mécanismes de répartition équitable qui reconnaissent toutes les contributions
* Comptabilité ouverte et contributive : mécanismes de répartition équitable qui reconnaissent toutes les contributions
*Des chaînes d'approvisionnement ouvertes et partagées pour une coordination mutuelle
* Des chaînes d'approvisionnement ouvertes et partagées pour une coordination mutuelle
*Des formes de propriété non domiciliaire (les moyens de production sont communs à tous les acteurs de l'écosystème).
* Des formes de propriété non domiciliaire (les moyens de production sont communs à tous les acteurs de l'écosystème).


À notre avis, la vague actuelle de communs urbains est une préfiguration de la prochaine vague de communs matériels à grande échelle pour la production et la distribution de la valeur dans les systèmes post-capitalistes.
À notre avis, la vague actuelle de communs urbains est une préfiguration de la prochaine vague de communs matériels à grande échelle pour la production et la distribution de la valeur dans les systèmes post-capitalistes.
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Dernière version du 20 septembre 2020 à 00:18

Contexte

Il s'agit d'une interprétation stylisée de l'histoire des biens communs, du point de vue de ce qui doit être fait maintenant. Voici donc quelques limites du texte :

  • Je distingue le "commun", c'est-à-dire ce que nous avons en commun ou devrions avoir en commun, du "bien commun", ce dernier désignant les ressources partagées réelles qui sont gérées collectivement, c'est-à-dire une institution humaine de gouvernance. C'est pourquoi je ne considère pas ici la langue, la culture et les connaissances "organiques" comme des "biens communs" qui ne sont pas gérés collectivement. N'oubliez pas que tout bien commun matériel est toujours aussi un bien commun de connaissances, et inversement, qu'aucun bien commun de connaissances ne peut exister sans infrastructure matérielle. De même, tout bien commun matériel est également un bien commun social, car il implique une mise en commun, une activité humaine. C'est l'histoire des biens communs "matériels" et "de la connaissance" dominants, tels qu'ils évoluent au fil du temps.
  • Le fait qu'elle se concentre sur la forme dominante du bien commun ne signifie pas qu'il n'y avait pas d'autres biens communs d'autres types. Par exemple, je considère que les guildes sont également une forme de bien commun social, mais les villes ne représentaient qu'une infime partie de la population à l'époque pré-moderne.

Texte

Premier jet Michel Bauwens, 28/7/2017 :

Est-il possible d'historiciser les communs, de décrire l'évolution des communs dans le temps?

Il s'agit de notre première ébauche et d'une tentative préliminaire pour le faire.

Pour ce faire, nous devons bien sûr définir les communs. Nous sommes généralement d'accord avec la définition qui a été donnée par David Bollier et d'autres et qui découle du travail d'Elinor Ostrom et des chercheurs de ce courant.

Dans ce contexte, le commun a été défini comme une ressource partagée, qui est co-détenue et/ou co-gouvernée par ses usagers et/ou les communautés de parties prenantes, conformément à ses règles et normes. C'est une combinaison d'une "chose", d'une activité commune comme le maintien et la coproduction de cette ressource, et d'un mode de gouvernance. Elle se distingue des formes privées et publiques/étatiques de gestion des ressources.

Mais il est également utile de considérer le commoning comme l'une des quatre manières de répartir les fruits d'une ressource, c'est-à-dire comme un "mode d'échange", qui diffère des systèmes de redistribution étatiques plus obligatoires, des marchés fondés sur les échanges, et de l'économie du don en tant que réciprocité socialement obligatoire entre des entités spécifiques. Dans ce contexte, le commun est la mise en commun/mutualisation d'une ressource, où les individus échangent avec la totalité d'un écosystème.

Un certain nombre de grammaires relationnelles, en particulier celle d'Alan Page Fiske dans "Structures of Social Life", sont très utiles à cet égard, car il distingue le Classement des Autorités (distribution par rang), l'Appariement de l'Egalité (l'économie du don, comme une obligation sociale de rendre un cadeau), le Prix du Marché et l'Actionnariat Communautaire.

Le livre de Kojin Karatani sur la structure de l'histoire du monde est une excellente tentative pour situer l'évolution de ces modes d'échanges dans un contexte historique. La mise en commun est le principal mode d'organisation des premières formes tribales et nomades de l'organisation humaine, car "posséder" est contre-productif pour les nomades; l'économie du don commence à fonctionner et devient plus forte dans les arrangements tribaux plus complexes, surtout après la sédentarisation, puisque l'obligation sociale du don et du contre-don, crée des sociétés et pacifie les relations. Avec l'avènement de la société de classes, le "Rang d'Autorité" ou redistribution devient dominante, et finalement, le système de marché devient dominant sous le capitalisme.

Reformulons maintenant cela dans une hypothèse de civilisation, c'est-à-dire une histoire de classe.

Les sociétés de classe qui ont émergé avant le capitalisme ont des communs relativement forts, et ce sont essentiellement les communs des ressources naturelles, qui sont ceux étudiés par l'école Ostrom. Ils coexistent avec les communs plus organiques hérités culturellement (connaissances populaires, etc.). Bien que les sociétés de classes pré-capitalistes soient très exploitées, elles ne séparent pas systématiquement les gens de leurs moyens d'existence. Ainsi, par exemple, en vertu du féodalisme européen, les paysans avaient accès à la terre commune.

Avec l'émergence et l'évolution du capitalisme et du système de marché, tout d'abord en tant que sous-système émergent dans les villes, nous voyons la deuxième forme de communs devenir importante, c'est-à-dire les communs sociaux. Dans l'histoire occidentale, nous assistons à l'émergence des systèmes de guildes dans les villes du Moyen Age, qui sont des systèmes de solidarité pour les artisans et les commerçants, dans lesquels les systèmes d'aide sociale sont mutualisés et autogérés. Quand le capitalisme de marché devient dominant, la vie des travailleurs devient très précaire, puisqu'ils sont maintenant séparés des moyens de subsistance. Cela crée la nécessité de généraliser cette nouvelle forme de communs, distincts des ressources naturelles. Dans ce contexte, nous pouvons considérer les coopératives de travail associé, les mutuelles, etc... comme une forme de communs. Les coopératives peuvent alors être considérées comme une forme juridique pour gérer les communs sociaux. Avec l'État providence, la plupart de ces communs ont été étatisés, c'est-à-dire gérés par l'État, et non plus par les commoners eux-mêmes, et l'on peut faire valoir que les systèmes de sécurité sociale sont des communs qui sont régis par l'État en tant que représentants des citoyens dans une politique démocratique. Aujourd'hui, avec la crise de l'État-providence, nous assistons au redéveloppement de nouveaux systèmes de solidarité de base, que nous pourrions appeler "commonfare", et la néolibéralisation et la bureaucratisation des systèmes de protection sociale pourraient bien exiger une re-commonification des systèmes de protection sociale, sur la base de partenariats publics-communs.

Depuis l'émergence d'Internet, et surtout depuis l'invention du web (lancement du navigateur web en octobre 1993), on assiste à la naissance, l'émergence et l'évolution très rapide d'un troisième type de communs: les communs de la connaissance. L'émergence de cette pratique du "savoir comme bien commun" coïncide avec la forte résistance à la seconde enclosure des communs, due aux pratiques néolibérales de propriété intellectuelle, et le logiciel libre lui-même, qui est à la fois une résistance contre la privatisation et une construction de nouveaux communs, montre la relation entre conflit et construction dans cette sphère.

Les réseaux informatiques distribués permettent la généralisation de la dynamique pair à pair, c'est-à-dire des systèmes contributifs ouverts dans lesquels les pairs sont libres de se joindre à la création commune de ressources de connaissances partagées, telles que la connaissance ouverte, les logiciels libres et les designs partagés. Les communs de la connaissance sont liés à la phase du capitalisme cognitif, une phase dans laquelle la connaissance devient un facteur primaire de production et d'avantage concurrentiel, et en même temps représente une alternative à la "connaissance comme propriété privée", dans laquelle les travailleurs de la connaissance et les citoyens s'approprient collectivement ce facteur de production. Dans la mesure où le capitalisme cognitif, ou basé sur les réseaux, sape le travail salarié et le travail précaire généralisé, en particulier pour les travailleurs du savoir, ces réseaux de connaissances communs et distribués deviennent un outil vital pour l'autonomie sociale et l'organisation collective. Mais l'accès au savoir ne crée pas la possibilité de créer des moyens de subsistance autonomes et plus sûrs et, par conséquent, les communs du savoir se trouvent généralement dans une situation de co-dépendance avec le capital, dans laquelle une nouvelle couche de capital, le capital netarchique, utilise et extrait directement la valeur des communs et de la coopération humaine.

Mais il ne faut pas oublier que la connaissance est une représentation de la réalité matérielle, et donc, l'émergence de la connaissance commune a forcément un effet important sur les modes de production et de distribution.

J'émettrais alors l'hypothèse que c'est la phase à laquelle nous sommes parvenus, c'est-à-dire la phase "phygitale" dans laquelle nous voyons l'entrelacement accru du "numérique" (c'est-à-dire de la connaissance) et du physique.

Les premiers lieux de cet entrelacement sont les communs urbains. J'ai eu l'occasion de passer quatre mois dans la ville belge de Gand, où nous avons identifié près de 500 communs urbains dans tous les domaines de l'approvisionnement humain (nourriture, abri, transport).


Notre grande découverte a été que ces communs urbains fonctionnent essentiellement de la même manière que les communautés de communs numériques qui opèrent dans le contexte de la "production de communs par les pairs"...

Cela signifie qu'ils combinent

  1. une communauté productive ouverte avec
  2. l'organisation d'une infrastructure "for benefit" qui entretient l'infrastructure des communs et
  3. les organisations génératrices (dans le meilleur des cas) de moyens d'existence qui servent de médiateurs entre le marché/État et le commun afin d'assurer la reproduction sociale des commoners (c'est-à-dire leurs moyens d'existence).

Dans notre vision, ces communs urbains, qui, selon au moins deux études, traversent une phase exponentielle de croissance (une multiplication par dix au cours des dix dernières années), sont le prémisse d'un approfondissement plus poussé des communs, préparant une nouvelle phase de rematérialisation plus profonde.

On distingue en effet quatre types de communs selon deux axes: matériel/immatériel et coproduits/hérités.

Les communs selon Ostrom sont pour la plupart des communs matériels hérités (ressources naturelles); les communs immatériels hérités, tels que la culture et la langue, sont généralement considérés sous l'angle du patrimoine commun de l'humanité; les communs hérités sont des communs immatériels coproduits et, enfin, il existe une catégorie largement absente de communs matériels produits. Nous parlons ici de ce qu'on appelle traditionnellement le "capital", mais dans le nouveau contexte d'une accumulation des communs, plutôt que d'une accumulation de capital pour le bien du capital.

Examinons la logique de tout cela.

Dans les formations de classes précapitalistes, où la terre est un facteur productif primaire, les communs de ressources naturelles sont une ressource essentielle pour la subsistance des communs, et il est tout à fait naturel que les communs prennent la forme d'une gouvernance commune des ressources naturelles liées à la terre.

Dans les formations capitalistes, où les travailleurs sont séparés de l'accès à la terre et aux moyens de production, il est naturel que les communs deviennent "sociaux"; ce sont les systèmes de solidarité dont les travailleurs ont besoin pour survivre, et ce sont des tentatives d'organiser la production sur une base différente pendant le règne du capital, c'est-à-dire qu'ils peuvent aussi prendre la forme de coopératives de production et de consommation.

Dans une ère de capitalisme cognitif, le savoir devient une ressource primaire et un facteur de production et de création de richesses, et le commun de la connaissance est un résultat logique. Mais les travailleurs précaires qui sont en exode de la condition salariée, ne peuvent pas "manger" la connaissance. Par conséquent, les communs prennent également la forme d'infrastructures urbaines et de systèmes d'approvisionnement, mais doivent aussi prendre la forme de véritables communs productifs physiques et matériels. Les communs sont donc potentiellement la forme d'un mode de production et d'industrie approprié à la conjoncture actuelle. Pendant une période de marché et d'échec de l'Etat face à la nécessaire transition écologique et à l'aggravation des inégalités sociales, les infrastructures de communs deviennent une nécessité pour garantir l'accès aux ressources et aux services, pour limiter les inégalités d'accès, mais aussi comme un moyen très puissant de réduire l'empreinte matérielle de la production humaine.

C'est pourquoi, les communs urbains et productifs actuels sont aussi les germes du nouveau système qui résout les problèmes du système actuel, qui combine une pseudo-abondance dans la production matérielle qui met en danger la planète, et une rareté artificielle dans l'échange de connaissances, qui entrave la diffusion des solutions.

Les communs de la connaissance du capitalisme cognitif ne sont qu'une transition vers les biens communs productifs de l'ère post-capitaliste.

Dans cette nouvelle forme de communs matériels, fortement éclairés et façonnés par le savoir numérique (d'où "phygital"), les moyens de production eux-mêmes peuvent devenir une ressource mutualisée. Nous prévoyons une combinaison de ressources de connaissances mondiales partagées (par exemple, illustrées par des conceptions partagées, et suivant la règle : tout ce qui est léger est global et partagé), et des micro-usines locales détenues et gérées en coopération (suivant la règle : tout ce qui est lourd est local).

Ce mode de production et de distribution cosmo-local (DGML: conception global, fabrication local) présente les caractéristiques suivantes :

  • Coopérativisme des protocoles : les protocoles immatériels et algorithmiques sous-jacents sont partagés et open source, utilisant des principes de copyfair (libre partage des connaissances, mais commercialisation conditionnée par la réciprocité)
  • Coopérativisme ouvert : les coopératives basées sur les communs se distinguent du "capitalisme collectif" par leur engagement à créer et à développer des communs pour l'ensemble de la société; dans les coopératives basées sur les communs, ce sont les plates-formes elles-mêmes qui sont les communs, nécessaires pour permettre et gérer les échanges qui peuvent être nécessaires, tout en les protégeant de la capture par des plates-formes extractives et hiérarchiques.
  • Comptabilité ouverte et contributive : mécanismes de répartition équitable qui reconnaissent toutes les contributions
  • Des chaînes d'approvisionnement ouvertes et partagées pour une coordination mutuelle
  • Des formes de propriété non domiciliaire (les moyens de production sont communs à tous les acteurs de l'écosystème).

À notre avis, la vague actuelle de communs urbains est une préfiguration de la prochaine vague de communs matériels à grande échelle pour la production et la distribution de la valeur dans les systèmes post-capitalistes.

English

See History and Evolution of the Commons