Synthèse des recommandations du Conseil National du Numérique concernant les communs

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Cette synthèse est issue du rapport du Conseil National du Numérique Travail - Emploi - Numérique / Les nouvelles trajectoires

Vous pouvez également lire un résumé plus complet sur cette page.


Introduction

Ce rapport étudie trois questions principales :

  • quels nouveaux métiers, quelles nouvelles compétences et comment conduire la transformation numérique des entreprises ?
  • quelles sont les pratiques numériques des services publics de l’emploi dans le monde ?
  • comment l’automatisation et la numérisation des activités agissent-elles sur le travail et ses conditions ?

Le rapport ne vise à répondre à ces questions, mais il :

  • propose une cartographie non exhaustive des controverses identifiées
  • fait des recommandations et donne des pistes de méthodes

En introduction, le Cnum réfute l'idée selon laquelle la mutation profonde actuelle ressemblerait à des événements antérieurs connus. Il ne s'agirait donc pas d'une crise mais d'une métamorphose, ce qui rejoint les idées de M. Bauwens à propos de la transition.

Le travail humain dans la société de demain

Dans la première partie, le rapport évoque le travil humain dans la société de demain, et assure en particulier que le numérique interroge les formes traditionnelles de production. Par exemple :

  • les structurations en [1] favorisent la mise en place de projets fondés sur la contribution volontaire d’un ensemble d’individus (logiciel libre, plateformes de travail à la demande)
  • les nouveautés technologiques telles que la Blockchain sont à l’origine de formes nouvelles d’entreprises, fondées sur la multi-appartenance et la contribution sporadique validée par les pairs, et productrices d’externalités.
  • un renouvellement des pratiques est en cours du côté de la production industrielle : augmentation du nombre de tiers-lieux de production collaboratifs et de mouvements visant à développer les pratiques artisanales, tels que le mouvement des makers

Le numérique favoriserait également une autonomisation émancipatrice des travailleurs.

  • L’individualisation, l’augmentation des activités indépendantes
  • Des modes d’organisation plus souples dans l’entreprise : nomades numériques, télétravail, tiers-lieux, espaces de coworking

Le numérique permet et promeut une manière de travailler particulière, fondée sur la contribution, le partage d’information et la créativité. La culture de l’autodidactisme, du bricolage et de la diffusion des savoirs est valorisée par le mouvement des makers (Cf. Do It Yourself). L’économie de plateforme entraîne un glissement de la création de valeur économique vers de nouveaux acteurs, un développement de modèles alternatifs de production, mais aussi un affaiblissement de “l’avantage organisationnel du salariat” (Cf. Uberisation) tandis que les logiques réputationnelles et les algorithmes du temps réel peuvent entraîner des situations de “sur-subordination”.

Les communs : un modèle alternatif de production ?

Le rapport pose cette question : les communs peuvent-ils porter un modèle alternatif de production ? Et il expose le concept dans un long parapgraphe : Les communs désignent des ressources gérées par une communauté, qui en définit les droits d'usage, organise son propre mode de gouvernance et les défend contre les risques d'enclosure. Il peut s'agir d'une communauté locale gérant une ressource matérielle (ex : un jardin partagé) ou d'une communauté globale gérant une ressource immatérielle (ex : Wikipédia).

Les communs, et plus particulièrement la production entre pairs basée sur les communs, sont souvent décrits comme un modèle alternatif à la gestion par l’État ou le marché. Cette notion, qui s’inscrit dans l’histoire longue des « communaux » se retrouve réactivée par le numérique. En effet, ici, l’effondrement des coûts de transaction ne mène plus seulement à une externalisation par le marché et la sortie du salariat, mais aussi à l’apparition d’un mode de production et de gestion de ressources en dehors des régimes classiques de propriété, qui privilégie la valeur d’usage des ressources (l’intérêt pour les individus et les collectivités) plutôt que leur valeur d’échange (leur monétisation en fonction de leur rareté, définie par l’équilibre entre offre et demande). On distingue différentes problématiques qui ont émergé avec ce « retours des communs »

  • Tout d’abord celle de l’articulation avec des régimes de propriété traditionnelle, notamment de la propriété intellectuelle. Les communs consistent en effet en des formes de partage et de distribution inédits des attributs du droit de propriété où peuvent se retrouver différents degrés d’exclusivité des droits (droits d’accès, d’usage, de prélèvement ou d’exploitation). La contradiction entre les modes de diffusion et de réutilisation des œuvres de l’esprit produits par des pairs dans une logique de communs et le droit d’auteur a ainsi abouti au développement de solutions contractuelles innovantes (mouvement du logiciel libre, licences de type Creative Commons). Cette forme de gratuité coopérative basée sur la contribution et le partage rassemble de nombreuses communautés d’échange et crée une nouvelle forme de richesse, aussi bien économique que sociale ;
  • L’inscription des communs dans le champ économique soulève néanmoins des interrogations quant à la pérennité de certains modèles, qui dépendent d’un financement ou de contributions extérieurs et qui restent vulnérables face à la captation par de grands acteurs. Certaines solutions contractuelles tentent ainsi de favoriser, au-delà de la libre réutilisation, une forme de responsabilité des utilisateurs des ressources communes. Les licences “share-alike” permettent par exemple aux auteurs d’imposer que le partage de leurs créations se fassent dans les mêmes conditions que le partage initial et ainsi d’entraîner une forme de viralité dans la diffusion ouverte d’une oeuvre. D'autres licences visent plus explicitement le risque d’appropriation ou de captation prédatrice par le secteur commercial. Certaines tentent ainsi d’établir un mécanisme de réversion dès lors qu’une organisation capitaliste fait usage d’une ressource en commun (Peer Production Licence et Reciprocity Licence). En outre, certains auteurs se prononcent en faveur d’une protection des communs qui ne serait plus seulement contractuelle, et militent ainsi pour une inscription positive d’un "domaine commun" dans la loi, ou encore pour la création d’une nouvelle forme d’association, avec un régime associé de protection contre les accaparements ou "abus de biens communs" ;

Pour Michel Bauwens, ces mécanismes doivent permettre le développement d’une véritable alternative au système du salariat, et plus largement au capitalisme, par le développement d’une "véritable contre-économie éthique et coopérative", qui n’est pas focalisée sur l’accumulation du capital et l’externalisation des coûts sociaux et environnementaux, mais sur un marché essentiellement basé sur la réciprocité. La multiplication des communs mènerait alors - selon lui - à une accumulation de ressources communes qui permettrait une production indépendante du champ de la rationalité économique, où l’on peut assurer sa subsistance à travers la contribution, sous condition du développement d’une infrastructure appuyée par des mécanismes de rétribution, par exemple des licences d’utilisation, mais aussi des monnaies alternatives - voire des solutions technologiques comme la Blockchain. D’autres auteurs ont d’avantage articulé la question de la rémunération des contributeurs aux communs avec la création d’un revenu de base ou contributif.

Parmi tous les sujets abordés, le rapport aborde le Digital Labor de Trebor Scholtz, le crowdsourcing, Work le Shadow Work de Craig Lambert, les masures de valeur de Jean Torole, le paiement des contributions sous la forme de micro-paiements (Cf. Jaron Lanier Who owns the future), l'économie de partage, le capitalisme cognitif, et fait une large place au revenu de base.

On peut ainsi extraire quelques pistes intéressantes :

  • Le temps libéré : le non-emploi serait porteur de libertés renforcées, à condition de disposer de garanties pour les exercer en sécurité et effectuer des transitions d’une activité rémunérée par les modèles classiques à une activité “contributive”.
  • Le statut d’acteur collaboratif : certains contributeurs ont évoqué la nécessité de définir un statut plus clair des acteurs qui utilisent des plateformes d’économie collaborative, et de mieux établir la distinction entre les activités dont la rémunération correspond à une contribution aux frais (valeur d’usage) de celles dont la rémunération relève d’un revenu (bénéfice). Cette distinction clarifierait les activités professionnelles des activités non professionnelles. Il s’agirait par ailleurs de définir les obligations qui s’imposent aux plateformes en matière d’information et de gestion des risques.
  • La reconnaissance d’un “état professionnel des personnes” tout au long de leur vie qui peut aussi être mise en parallèle avec la proposition d’instituer un revenu contributif. Plusieurs acteurs défendent à ce titre une généralisation du système mis en place pour les intermittent du spectacle afin d’assurer à tous les travailleurs une meilleure gestion de leurs temps professionnels (phases de développement de capacités et phases de mise en production de ces capacités). La perception de ce “revenu contributif” serait conditionnée à l’exercice d’activités présentant un intérêt pour la collectivité.


Mobiliser le numérique pour valoriser les activités porteuses de sens

Dans la seconde partie, le rapport propose des dizaines de recommandations classées en 6 axes principaux. L'une d'entre elles consiste à mobiliser le numérique pour valoriser les activités, rémunérées ou non, porteuses de sens individuel et collectif, et notamment :

  • la participation à des projets de création et de développement d’entreprises, de Fab Labs, de coopératives, etc. ;
  • la production de biens communs ;
  • L’utilisation de licences à réciprocité (ex : licence FairlyShare, licences Creative Commons) permettant d’explorer des logiques de reconnaissance de la valeur produite sans passage par une monétarisation ;
  • la promotion du financement participatif pour accompagner des projets de transition énergétique et numérique locaux

Il évoque également le crowdsourcing, le peer-to-peer, l'horizontalité, la réticularité, l'Open-data,...


Le coopérativisme de plateforme : de nouvelles relations de travail

Le deuxième axe du rapport balaye les nouveaux rapports relationnels au travail, et il parle longuement du coopérativisme de plateforme :

Le coopérativisme de plateforme consiste à appliquer le modèle coopératif aux plateformes, notamment d’économie collaborative. Ce modèle permet à chaque utilisateur d’être en même temps détenteur de la plateforme et donc d’être partie prenante de la constitution des règles de la plateforme via la gouvernance démocratique : les conditions de tarification, les droits sociaux ouverts aux travailleurs, les réglementations concernant le déréférencement. Loin de constituer une nouvelle obligation pour les plateformes existantes, le soutien au coopérativisme de plateforme s’inscrit dans la volonté de diversifier les modèles économiques de l’économie collaborative et de favoriser l’innovation et l’apparition de nouveaux acteurs. Ce type d’organisation constitue donc une voie de développement alternative pour l’économie collaborative, qui permet de concilier les objectifs de protection des travailleurs et d’innovation sociale et de service.

Différentes initiatives peuvent être mises en place afin de soutenir ce nouveau type de plateforme :

  • le Programme d’investissements d’avenir (PIA) pourrait être utilisé pour financer le lancement de ce type de plateforme, qui peine à trouver un investissement de la part des acteurs privés, du fait de la nouveauté de ce type de modèle ;
  • des expérimentations pourraient être lancées par les collectivités territoriales : une des possibilités pour instituer un coopérativisme de plateforme est en effet que les pouvoirs publics eux-mêmes participent à la création de plateformes publiques. A cette fin, des modules en logiciel libre pourraient être développés de manière mutualisée, afin de promouvoir des services d’économie collaborative opérés avec les collectivités en relation avec les utilisateurs (par exemple un service équivalent à Airbnb opéré par la Mairie de Paris) ;
  • des programmes de recherche concernant les nouvelles technologies favorisant des modes d’organisation plus décentralisés pourraient être lancés. A cet égard, la technologie Blockchain, encore à ses débuts, ne peut faire l’objet d’un développement par les seules entreprises des secteurs directement impactés (banques, assurances…). Cette technologie, qui est au fondement de la monnaie virtuelle Bitcoin permet en effet d’assurer une certification des transactions de manière décentralisée, sans passer par un acteur qui se placerait en position d’intermédiaire pour jouer le rôle de tiers de confiance. Elle doit donc être étudiée comme telle, afin de favoriser les nouvelles potentialités d’organisation qu’elle rend possible ;
  • asseoir juridiquement et diffuser les licences à réciprocité, telle que la peer production licence, qui crée des droits d’utilisation différents selon que l’entité réutilisatrice soit une coopérative ou non.

Le coopérativisme de plateforme est une idée défendue par Trebor Scholz, un universitaire américain et s’inscrit dans le cadre des travaux sur le modèle coopératif et le peer to peer en ligne (Michel Bauwens, Yochai Benkler). Cette idée prend sa source dans un double constat :

  • les plateformes d’économie collaborative captent une grande partie de la valeur créée par le travail des utilisateurs
  • ces mêmes plateformes ont un rôle qui peut s’apparenter à celui d’un employeur alors même qu’elles n’ont pas les obligations parallèles

Exemples de plateformes coopératives

  • Fairmondo est une plateforme allemande de commerce en ligne, détenue, sous forme coopérative, par ses utilisateurs et ses salariés.
  • La Zooz, qui en est encore au stade du développement est une entreprise israélienne qui a pour objectif de concurrencer les services de covoiturage en proposant un modèle fondé sur la blockchain et sur une monnaie virtuelle.
  • Le labo Cellabz est un laboratoire d’innovation qui associe les technologies émergentes et la Blockchain autour d’une approche multidisciplinaire et multi-acteurs, réunissant des universités, des start-ups et des entreprises. Cofondé par Nicolas Loubet et Clément Epié, le Cellabz a mené une enquête de deux ans et interrogé une grande variété d’acteurs pour constituer un rapport sur la blockchain. (http://www.cellabz.com)

Sources :


L’innovation ouverte comme axe de renouveau industriel

Et pour finir, le rapport évoque l’innovation ouverte comme axe potentiel de renouveau industriel, en faisant notamment les recommandations suivantes :

  • Soutenir le développement de projets d’innovation ouverte (équipes d’innovation fellows - programmes de recherche-action pluridisciplinaires - diffusion des résultats en open data - mécanismes incitatifs, comme le 1% open)
  • Favoriser une articulation vertueuse des communs et de l’innovation ouverte. Des coopérations fertiles peuvent se développer entre la richesse de la sphère des communs informationnels et un tissu économique industriel en transformation. Ces coopérations doivent être outillées et soutenues. Dans le même temps, il est nécessaire de se prémunir contre les risques de pratiques aboutissant à asseoir une marchandisation de l’information.
  • Financer la production des biens communs informationnels paneuropéens.
  • Consolider juridiquement le système des licences à réciprocité et mener une lutte renforcée contre le copyfraud et le patent trolling.
  • Établir des lignes directrices européennes décrivant les pratiques vertueuses ou prédatrices d’utilisation commerciale de l’open source.