Mission Communs de la ville de Grenoble

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Auteur

Xavier PERRIN est responsable du conseil en gestion et des systèmes d’information décisionnels au sein de la Mission d’Aide au Pilotage de la Ville de Grenoble. Ancien directeur général des services de collectivités, il a contribué à la reconnaissance par l’Etat des enjeux structurels de territoires spécifiques, auprès de communautés insulaires notamment. Il a piloté la première labellisation ISO 26000 d’une collectivité française engagée en Responsabilité sociétale des organisations. Il est depuis l’été 2018 directeur de projet « communs » à Grenoble.

Résumé

De nouveaux partenariats entre organisations publiques locales et collectifs d’usagers et de citoyens, émergent et bouleversent les pratiques des techniciens territoriaux : affectations de bâtiments en tiers lieux, mises à disposition d’espaces publics pour se réapproprier la ville, « collaborations occasionnelles » de plus en plus courantes d’usagers et citoyens. De manière très simplifiée, un « commun », entendu comme la maîtrise d’un bien commun identifié comme tel par une communauté ouverte, offre ainsi de nouveaux types partenariats entre collectivités et citoyens actifs.


Une mission « communs » créée en 2018 a pour commande d’identifier la matérialité des communs grenoblois, de les valoriser et les développer. Appuyée par l’Université, en réseau avec des partenaires publics et des commoners, la mission organise des ateliers ouverts et copilote avec la 27ème région un éductour européen invitant les agents de collectivités (Brest, Grenoble, Lille) à interroger leurs pratiques avec les citoyens. Les « chantiers ouverts au public », les jardins partagés, les Budgets et ateliers participatifs s’assignent une nouvelle exigence de participation et un cadre de co-administration ou d’ « administration partagée » comme l’Italie l’a inscrite dans sa constitution. Plus que de simples outils, ils révèlent de nouvelles valeurs d’hospitalité publique et de soin apporté à la ville.

Vers un horizon «  communs » à Grenoble pour co-administrer la ville

Au nombre des nouveaux collectifs qui se réapproprient la ville, un « commun » peut être défini comme une communauté d’usage, accessible à différents acteurs (publics, privés, usagers, citoyens, entreprises,…) qui se fixe des règles transparentes de gouvernance, d’inclusion, de gestion et de résolution des conflits, pour gérer et préserver tout type de ressources ou biens, matériels (forêt, eau, bâti, espaces publics, etc.) comme immatériels (connaissance, création, mémoire, etc.). De manière très simplifiée, un « commun » est la maîtrise d’un bien commun identifié comme tel par une communauté ouverte. Il repose sur un ensemble de pratiques collaboratives et contributives. Le commun est non seulement défini par un accès libre et partagé, mais par ce dont nous nous occupons ensemble. C’est avant tout une pratique. Il s’agit d’un choix collectif et politique et les organisations publiques pyramidales ne peuvent échapper à ce mouvement profond de transition. A des horizons publics le regarde se pose désormais vers d’autres horizons communs.


Le rôle de la Ville est de concevoir un cadre propre à soutenir l’existence de communs et à favoriser leur émergence. Il s’agit de faciliter le développement d’activités hors du champ exclusivement privé ou exclusivement public, d’activités partagées ou construites ensemble et celui de modes d’organisation où les utilisateurs d’une ressource en sont aussi les gérants.


Une collectivité territoriale peut se considérer comme un membre de communs, car ayant mis au cœur de ses politiques la préservation active des « biens communs » et une plus grande horizontalité dans la gouvernance de politiques publiques. Ugo Mattei, juriste italien, présente ainsi les communs comme des ressources qui relèvent autant de l’être que de l’avoir : « On n’a pas un bien commun, on est un bien commun »[1]. La municipalité de Grenoble a ainsi défini sa « boussole politique » en trois axes : garantir les sécurités et les droits fondamentaux, chérir les biens communs et le vivant, et donner à chacun la liberté de contribuer. Les communs sont au cœur de cette nouvelle « hospitalité publique »[2] où l’organisation devient animatrice voire contribue à l’émergence de communautés d’acteurs.


Dans cet esprit, la création d’une mission « Communs » a été sollicitée en juillet 2018 par Anne-Sophie Olmos, conseillère municipale déléguée au contrôle de gestion et à la commande publique, pour identifier la matérialité des communs grenoblois, les valoriser et les développer.

Des biens communs grenoblois aux communs

La commande politique s’assigne les objectifs d’accompagner l’évolution des pratiques, celles des institutions comme celles des citoyens, en sensibilisant habitants, acteurs du service public, associations et entreprises « à ce qui nous appartient en commun et ce dont nous pouvons/devons nous occuper ensemble » et communiquer et dialoguer autour de « ce que sont nos biens communs », identifier quels sont leurs modes de gestion actuels. Il s’agit également de valoriser les initiatives existantes en interne de la Ville et à Grenoble sur les communs et ce qui permet une gestion collective des biens communs. A cette fin, il convient de soutenir l’évolution de la gestion des biens communs « vers plus de participation citoyenne en privilégiant la co-construction » au sein d’une administration partagée. Ceci peut concerner les propres services de la Ville, ses satellites et l’ensemble des acteurs extérieurs de la société civile et de l’entreprise.


Grenoble est connue pour être une terre d’audaces, d’innovation scientifique, un territoire qui se démarque. Berceau de la Révolution française, elle est aussi un territoire d’innovation sociale : les assurances sociales, le mutualisme, le planning familial et désormais l’accueil de migrants en font une terre de solidarités. L’histoire de la ville est ainsi teintée d’anecdotes croustillantes, comme l’une en 1851, lorsque le maire s’inspirant de l’expérience genevoise ouvre un restaurant sociétaire afin de nourrir les ouvriers à des prix abordables, contre l’avis préfectoral ; le restaurant a existé près d’un siècle. La Ville de Grenoble est également réputée pour avoir depuis le 19ème siècle assuré une forte maîtrise de ses ressources : l’eau de Grenoble a été l’objet d’âpres luttes menées par des collectifs de citoyens, des élus d’opposition et de salariés d’une ancienne régie, pour en garder la maîtrise publique et s’en assurer de la bonne gestion, la Compagnie de chauffage et Gaz et Electricité de Grenoble (GEG) sont des opérateurs reconnus au plan national[3]. Cette gestion des biens communs a fait sans le dire en ces mots de Grenoble une ville gérée « en commun ».


Le périmètre de la mission est donc vaste. D’une part, il est totalement transversal à l’organisation municipale en impliquant tous les services concernés, ressources comme opérationnels. D’autre part, il la dépasse en intégrant ses satellites portant les biens communs de l’eau, de l’énergie, du logement, des mobilités, du chauffage urbain, leurs communautés d’usagers et les citoyens.

Une thématique offrant in fine des moyens… illimités

La mission « Communs » dispose a priori de peu de ressources : un cinquième de poste pris pour la direction de projet sur les effectifs du service de contrôle de gestion interne devenu mission d’aide au pilotage et un.e stagiaire. A été ciblée une fonction garante de la performance interne et externe de l’ensemble des politiques publiques et des bons modes de gestion associés, de sa transversalité reconnue, de son rôle de  business partner  auprès des directions ressources et opérationnelles. Pour autant et pour compléter ces moyens, la thématique des communs va vite révéler de prodigieuses ressources en interne, sur le terrain, et des réseaux de commoners et partenaires nationaux et européens.


En interne, l’équipe projet réunit à ce jour une quinzaine de référents et d’agents de directions des affaires juridiques, du CCAS, de la culture, de la documentation, de l’international, des politiques d’action territoriale dans les quartiers et de participation, de l’environnement et des associations.


Grâce aux compétences réunies et champs d’intervention couverts, ce groupe concourt à la mise en œuvre du projet et participe également à la conception des outils. Les services documentation et communication ont ainsi rassemblé les éléments pour réaliser une exposition sur l’histoire des communs grenoblois (eau, énergie, mutualisme,…), la direction juridique explore et sécurise de nouveaux dispositifs contractuels, etc.

La collaboration d’agents d’autres collectivités est par ailleurs venue compléter ces moyens grâce à l’obtention d’un projet européen Erasmus+ dénommé « Enacting the commons / les communs en acte », déposé par un consortium autour de La 27ème région. La mission s’est donc étoffée en incluant la co-organisation de ce éductour en Europe qui permet la mise en réseau et de riches échanges avec les collègues de la ville de Brest et de Lille métropole, d’associations partenaires (Anis, Pop, Esopa, Savoir com1) voire de techniciens associés d’un groupe dit miroir (Ville de Nantes, Laboratoire régional d'innovation publique en Bretagne, Mission résilience de la Ville de Paris…).

La thématique des communs révèle enfin un vaste réseau sur lequel s’appuyer, composé de chercheurs, d’activistes, de militants, de  communers  : lors de l’un de ces rassemblements organisé à Grenoble en août 2018, un commonscamp a ainsi réuni des réseaux de commoners (Remix the commons, La Coop des communs, …), un laboratoire de recherche italien (Labsus,…) des spécialistes de l’occupation temporaire de Bruxelles (Communa, 1er prix belge de l’ESS), des juristes-activistes de Naples ou encore de simples techniciens territoriaux présents, tels Olivier Jaspart, un des juristes administratifs les plus en pointe sur le sujet[4]. Pour le dire rapidement, l’actualité des communs est trépidante et pas un mois ne se passe sans qu’un événement national ou européen ne soit organisé.

Un partenariat devenu indispensable avec l’Université

Répondant à un véritable besoin d’échange interdisciplinaire et d’une recherche de terrains d’expérimentation pour les chercheurs et étudiants, la mission s’articule de plus en plus avec l’Université Grenoble Alpes.


Durant la « Biennale des Villes en transition » de février 2019, les étudiants en Economie sociale et solidaire de Sciences Po Grenoble (IEP) coachés par leur professeur Amélie Artis et les juristes en droit public de la Clinique juridique territoriale de la Faculté de Droit par le responsable du master Nicolas Kada ont répondu à notre sollicitation et conduit des ateliers ouverts au public très remarqués par leur réactivité et la finesse des analyses. 60 étudiants en économie sociale et solidaire ont réalisé des enquêtes de terrain tandis que 16 étudiants juristes analysaient des problématiques en partenariat avec la direction juridique de la Ville de Grenoble : pactes de collaboration, permis de végétaliser, frigos partagés, statut et responsabilité administrative bouleversés par ces coopérations avec les usagers et citoyens. En s’inspirant de l’analyse de la chercheuse Geneviève Fontaine (qui insiste sur le critère d’inclusion et d’ouverture, elle parle des « communs de capacitation »), les étudiants et stagiaires de la mission ont pu se doter d’une trame d’analyse et mener un début de diagnostic des communs grenoblois.


Forte de cette collaboration, l’Université Grenoble Alpes souhaite désormais offrir un cadre plus large de réflexion et de partage sur les communs en créant une « Université d’Eté » récurrente sous la forme de coopérations ouvertes et de travaux de recherche-action. Beaucoup plus horizontale que le dispositif de chaire, cette université d’été s’ouvrira à d’autres disciplines et s’inscrira dans le cadre de la Biennale où les communs prendront une place importante. Les thématiques ciblées seront notamment des 2 au 4 juillet 2020 celles de l’alimentation, de la santé, de l’environnement et de la culture.


Mais ces partenariats ne se limitent pas à l’échelon national, car la mission s’inscrit dans la dynamique européenne des communs.

Être l’interface d’une dynamique européenne profonde

Copilote du projet européen d’éductour Enacting the commons, la ville de Grenoble s’est particulièrement investie dans l’organisation des premières étapes italienne et belge. Les études de cas de Bologne et Turin ont ainsi particulièrement été inspirantes pour la Ville qui avait ciblé l’analyse des pactes de coopération entre administration et citoyens.

Inscrite dans la constitution italienne, l’administration partagée est posée avec l’introduction du principe de subsidiarité horizontale : « État, régions, villes métropolitaines, provinces et municipalités s’engagent à aider l’initiative autonome des citoyens, individuels ou associés, afin qu’ils accomplissent des activités d’intérêt général, sur la base du principe de subsidiarité » (art. 118 §4). Décliné en règlements puis en « pactes de coopération » dans une centaine de ville italienne, ce principe permet que « les citoyens sortent du rôle passif d’administrés pour devenir coadministrateurs, des sujets actifs qui, intégrant les ressources qu’ils apportent avec celles dont l’administration est équipée, assument une partie de responsabilité dans la résolution de problèmes d’intérêt général »[5] selon Gregorio Arena, professeur de droit et fondateur de Labsus, le laboratoire de la subsidiarité horizontale.


Les pactes constituent un nouvel outil pour repenser la relation des administrations italiennes avec les citoyens. Ils permettent de sortir du cadre et de questionner des projets a priori classiques et que l’on trouve en France : la mise à disposition d’un local à une association, l’organisation d’un trail, l’animation d’une maison de quartier, la mise à disposition d’une partie d’un espace vert pour réaliser un jardin potager…


Aussi présentent-ils des aspects novateurs importants qui sont inspirants. La promotion de l’initiative citoyenne, l’empowerment, en positionnant, via un dispositif unique, le citoyen comme collaborateur de la collectivité pour prendre soin d’un bien commun est un élément fondamental. La possibilité de conclure des pactes avec des groupes informels de citoyens, non constitués en association, et de leur confier des responsabilités dans l’entretien et la gestion d’un bien commun est un atout indéniable du dispositif. Ces pactes récréent de la confiance entre administration et citoyens. Enfin le contexte juridique italien place la notion même de biens communs comme légitime pour le citoyen invité à s’impliquer dans l’administration de ces biens, aux côtés de l’administration communale.


Comme le résume Donato di Memmo notre homologue italien responsable du Service pour l’administration partagée de la Ville de Bologne « Nous savons que le citoyen possède de nombreuses ressources pour contribuer à faire de cette ville un lieu plus beau et plus soigné. Le devoir d’une administration publique est de savoir connecter ces ressources et savoir soutenir les idées des citoyens »[6].

Le paradigme des communs conforte les dispositifs de partenariats existants avec les usagers et les citoyens

A Grenoble de nombreux mécanismes de co-construction existent. L’opération Jardinons nos rues est une mise à disposition d’espaces de jardinage collectif sur l’espace public, identifiés par la Ville ou comme à Bologne par les citoyens résidents ou actifs dans leur commune : les techniciens de la Ville préparent les espaces (fosses de plantation sur trottoir, jardinières ou bacs, espaces verts existants) et les citoyens en prennent soin : plantations et gestion sont de leur ressort et la ville procure toutefois des conseils, des formations voire des financements. 75 demandes ont été finalisées et plus de 130 espaces jardinés. Plus sociaux, les Jardins partagés sont quant à eux des projets transversaux aux directions s’adressant à des lieux de vie, des espaces publics dont la gestion est investie par des habitants ; les actions mêlent gestion des espaces publics et par exemple des politiques de santé et de prévention. La Rue aux enfants conduit à fermer des rues à la circulation motorisée (temporairement ou non) où les enfants et les jeunes peuvent s’exprimer, ne rien faire, jouer gratuitement, en toute sécurité et tranquillité.

Les Chantiers ouverts au public (COP) font des espaces publics – « bien commun par excellence » selon Franck Quéré, chef du service « Espace public et citoyenneté », des communs en impliquant les citoyens. Ce dispositif mis en place en 2018 a permis en un an 13 réalisations, impliquant environ 300 citoyens. « L’objectif est d'encourager la capacité de chacune et de chacun à agir concrètement et directement sur son cadre de vie, d'aménager des espaces temporaires ou pérennes, conformes aux usages et aux envies des habitantes et habitants. Les COP sont un outil simple et convivial qui permet de co-construire la ville avec les habitants, en réfléchissant collectivement à l’usage qu’ils souhaitent donner aux espaces publics. De même, les COP permettent concrètement de donner à chacun l’occasion d’exprimer sa créativité, ses talents, ou sa curiosité, aux côtés de différents bénévoles ayant à cœur de faire vivre leurs quartiers dans une ambiance de coopération ». Parmi les chantiers, un énorme jeu pour enfants (La Dragonne) monté par les habitants, l’aménagement de la cour d’une MJC, la création d’une assise autour d’un arbre à palabre ou d’un local de stockage vélos, des peintures au sol, des fabrications de mobiliers urbains…

Le dispositif le plus connu est celui des Budgets participatifs, une démarche initiée par la Ville de Grenoble en 2015. Chaque année elle permet aux habitants résidents de plus de 16 ans, aux collectifs et aux associations de proposer des projets. Ce dispositif cumulé 4 M€ de budget en investissement participe à la transformation de la ville : 47 projets ont été sélectionnés depuis 2015 partout dans la ville, des jeux pour les enfants, un mur d’escalade, un théâtre de verdure, des jardins sur les toits, un lieu d’accueil solidaire, des rues apaisées, du mobilier urbain sur les berges de l’Isère. Dans la mesure du possible (raisons de sécurité principalement), les citoyens sont associés à la réalisation des chantiers sous la forme d’ateliers participatifs (assemblage ou construction de jeux, mobilier urbain, équipements des jardins, réalisation de fresques) mais surtout ils concourent à la gestion des projets (poulaillers, jardins partagés, vergers, pigeonniers contraceptifs, ruches,…).

La participation n’est plus seulement l’association à des démarches de prises d’avis ou des commandes faites à l’administration aux fins de réaliser des équipements. Elle donne du sens et crée de la coopération au sein d’uhne démocratie locale plus participative encore. Par la co-construction, elle dessine en outre de nouveaux partenariats public-communs et s’approche du modèle bolognais d’administration partagée.

Co administrer la ville pour en prendre soin, un nouveau paradigme

La co-administration rétablit la confiance entre parties prenantes, fait de l’usager un citoyen-acteur, et lui permet de se réapproprier sa Ville. Côté administration, elle conduit à croiser les expertises d’usage et celles des techniciens. Ceci n’est pas toujours simple entre techniciens et citoyens et amène à plus d’humilité et de respect. Elle rend nécessaire le travail en mode projet : le service Espaces publics et citoyenneté joue peu ou prou le rôle d’interface du service pour l’administration partagée de Donato di Memmo à Bologne. Elle bouscule les logiques de réponses en silos et invite les techniciens de deux voire quatre ou plus directions à travailler de plus en plus ensemble, quand il ne s’agit pas de faire l’interface avec les services métropolitains ou ceux du CCAS. Elle interroge le rôle des directions générales adjointes et sectorielles dans leur capacité à faciliter ces coopérations transversales, voire celle des directions à offrir les espaces et moyens à des démarches exploratoires et in fine très engageantes.


Les juristes et les chefs de projets sont fortement mis à contribution pour sécuriser tout en rendant possibles de nouvelles modalités d’intervention des citoyens : le statut de travailleur occasionnel de service public est poussé dans ses retranchements, l’insertion des citoyens dans les phases de consultation ou certains appels à candidatures (Gren’ de projet pour la gestion de bâtiments inoccupés) sont expérimentaux. Ces pas de côté pour mieux co-administrer sont pléthore et peu valorisés, les agents s’investissant pourtant beaucoup pour qu’ils soient rendus possibles. Lors de la Biennale des villes en transition, des citoyens ont tenu à remercier les pilotes des opérations précitées à l’issue d’un atelier sur la transformation des organisations publiques organisé avec la 27ème région.


Ceci nous a conduits avec Louise Guillot de la 27ème région et Olivier Jaspart, juriste territorial, à cosigner une tribune pour encourager la créativité juridique et organiser un premier hackathon sur ces nouveaux partenariats à Super public. D’autres sont prévus. Le besoin est en effet grand de favoriser et faire connaitre ces initiatives offrant plus de visibilité à la co-administration auprès des directions générales, des associations professionnelles ou d’élus et les communautés de techniciens. Lors des Universités d’été de l’innovation publique du CNFPT, j’ai accompagné le défi d’une collectivité, Caluire et Cuire, dont la démarche de résolution de conflits d’usages sur un quartier[7] pourrait s’inspirer des communs, comme nous l’avons proposé avec Nathalie Arnould de la Cité du design de Saint-Etienne et Emmanuelle Mazeaud, secrétaire générale de cette commune.


Les partenariats public-communs ne se limitent évidemment pas à la gestion des espaces publics : à Grenoble, ils peuvent investir le champ de l’alimentation avec notamment le projet alimentaire inter-territorial, celui de la santé avec le travail des « pairs en santé » ou de communautés de santé, de l’énergie avec les centrales photovoltaïques citoyennes, ou encore du logement avec un Office foncier solidaire se rapprochant des politiques sociales des Community land trust.


Ils ne sont ni une externalisation déguisée ni l’ombre de la Big society ou la réincarnation du new public management. Et si certains communers napolitains craignent que « les citoyens ne soient reconnus comme partenaires que dans leur capacité à être charpentiers ou jardiniers »[8], on peut a contrario opter pour la vision d’une autre napolitaine, Gilda Farrel, ancienne DG du Conseil de l’Europe qui préfère « légitimer le droit d’expérimentation dans l’espace public, avec l’objectif d’un renouveau ascendant (de bas en haut) plutôt que d’encadrer l’initiative citoyenne dans des engrenages administratifs, en faisant recours à elle seulement en cas de besoin ».

Invitée par la mission « communs » lors de la Biennale des Villes en transition, elle pointe : «  Il en va de la défense de notre monde - que nous considérons comme un acquis - pour coexister autrement. Je pense que les biens communs ouvrent à une société du soin, caring society (David Graeber) : une « société qui prend soin », et soigner ça veut dire sortir de l’indifférence matérielle […] Tandis que nous pensons avoir le droit de détruire ou gaspiller ce qui est à nous, les biens communs invitent à réfléchir sur le comment « soigner », prendre soin des objets, de la nourriture, de l’eau, de la culture, du patrimoine… »

D’autres chercheurs et universitaires sont encore plus ambitieux : Benjamin Coriat[9] n’estime pas moins que ces expérimentations sont constitutives d’un renouveau du service public local, où certains pans de l’administration locale peuvent être, à terme, gérés comme un commun.

Notes

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