ZAD et Communs

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Message de Lionel Maurel sur la liste de diffusion mail "Echanges"


Il y a beaucoup d'analyses qui circulent en ce moment à propos de la ZAD et certaines tournent à la tentative de récupération idéologique, mais je dois dire que je n'ai pu réprimer un pouffement de rire à la lecture du texte de ces "jeunes libéraux"...

Qu'il ait des libertaires à la ZAD, issus notamment de la mouvance anarchiste, est une évidence. Que l'on puisse assimiler des libertaires à des libertariens et leurs pratiques collectives à des pratiques "libérales et concurrentielle" est en revanche assez sidérant...

Je précise avant d'aller plus loin que j'ai effectué trois séjours sur la ZAD de NDDL ces deux dernières années et que j'en ai donc une certaine expérience "de l'intérieur", ayant pu participer au quotidien de certains collectifs et voir l'organisation globale qui a été mise en place sur la Zone.

Les Zadistes mobilisent la notion de Communs depuis longtemps. On a peut la voir apparaître notamment dans leurs écrits en 2014 dans ce très beau texte : "De la ZAD aux Communaux : que va devenir la ZAD ?" https://lundi.am/De-la-ZAD-aux-Commnaux-Partie-I


Les Communs leur ont servi à penser deux choses :

  • Définir le statut et le mode de gouvernance des infrastructures collectives que les habitants sur place ont créé pour satisfaire à leurs besoins

Extrait :

Les communs, cʼest toutes les infrastructures de lʼautonomie dont a su se doter le mouvement au fil des années et qui sʼinventent au jour le jour dans ce bocage. Ces outils sont multiples et ont pour objet de sʼorganiser collectivement pour répondre à nos besoins : – se nourrir (cultures collectives sur les terres occupées, formes de mise en partage des machines agricoles communes, tentatives de distribution non marchandes des denrées autoproduites sur la zone mais aussi des invendus des supermarchés, etc.). – sʼinformer et communiquer (radio klaxon, zadnadir, zadnews, photocopilleuses communes, etc.), – se défendre (formes de mises en partages de matériel médical et dʼapprentissage collectif de gestes de soins, de stratégies de défense face à la police et à la justice, caisse antirépression, diffusion de pratiques et de matériaux pour lʼaffrontement, tractopelle commun, etc.).

  • Imaginer un ou des régimes de propriétés pour les terres occupées, en sortant de l'opposition entre la propriété privée et la propriété publique.

Ces réflexions ont été "incorporées" dans les "6 points pour l'avenir de la ZAD", texte adopté en juin 2017 par l'ensemble des composantes du mouvement en lutte contre l'aéroport (c'est-à-dire pas seulement les ZADistes, au sens des occupants) dans lequel étaient envisagées les bases sur lesquelles se ferait la négociation avec l'Etat en cas d'abandon du projet : https://zad.nadir.org/spip.php?article4629


On trouve notamment ces points qui sont issus de la réflexion sur les Communs :

  • Que les terres redistribuées chaque année par la chambre d’agriculture pour le compte d’ago-Vinci sous la forme de baux précaires soient prises en charge par une entité issue du mouvement de lutte qui rassemblera toutes ses composantes. Que ce soit donc le mouvement anti-aéroport et non les institutions habituelles qui détermine l’usage de ces terres.
  • Que ces terres aillent à de nouvelles installations agricoles et non agricoles, officielles ou hors cadre, et non à l’agrandissement.

La solution envisagée ressemblait donc à celle du Larzac (qui comme chacun sait fut un modèle de pratiques "libérales et concurrentielles"...). Cette solution était explicitement recommandée dans le rapport des médiateurs qui a été rendu à la fin de l'année dernière Voir : http://www.liberation.fr/direct/element/nddl-un-rapport-qui-ne-tranche-pas-mais-preconise-levacuation-de-la-zad-une-decision-attendue-fin-ja_74933/

Or c'est cela qui a déclenché la réaction violente de l'Etat que nous avons vu se déchaîner ces dernières semaines.

Le gouvernement a demandé aux ZADistes de déposer des projets "à titre individuel" de manière à gommer a priori tout arrangement institutionnel (pour parler comme Elinor Ostrom) impliquant une dimension collective. Les ZADistes l'ont d'abord refusé sur le principe parce que c'est à cette dimension collective qu'ils rattachent le sens de leur action. En réaction, le gouvernement a envoyé les gendarmes par milliers, des blindés, des hélicoptères,finalement juste pour empêcher des gens de dire "Nous" plutôt que "Je".

Voir ce texte sur Médiapart qui parle de cette tension entre individuel et collectif : "ZAD : l'insoluble dissolution du collectif dans l'individuel" https://www.mediapart.fr/journal/france/200418/zad-l-insoluble-dissolution-du-collectif-dans-les-projets-individuels


Face aux violences, les ZADistes ont finalement accepté de déposer des dossiers individuels, mais ils continuent à se référer aux Communs et à mettre en avant la dimension collective de leurs projets.

Pour faire apparaître cette dimension collective, les ZADistes ont publié cette semaine un "schéma des Communs", extrêmement intéressant, qui montre l'imbrication et les différentes interdépendances entre leurs différents projets qui sont tous collectifs. https://twitter.com/ZAD_NDDL/status/987638609166716928

On est vraiment dans la "gouvernance polycentrique" au sens d'Ostrom, et le schéma ne montre pas les "emboîtements" supérieurs, car contrairement à ce que disent les libertariens, la Zone n'a jamais eu une volonté d'autarcie, elle est articulée aux autres composantes du mouvement (ACIPA, ADECA, COPAIN). Elle entretient de nombreux liens avec l'extérieur, à cmmencer avec les communes avoisinantes.

La très grande majorité des projets envisagent à présent de se structurer sous forme d'associations (voir le schéma dans le lien) : https://zad.nadir.org/spip.php?article5651 et l'on peut dire que nous avons là une vraie résurgence du mouvement "associationniste".


Qu'il y a -t-il de "libéral et concurrentiel" dans ces propositions ? Les ZADistes ont bien un rapport aux pratiques marchandes, qui a suscité beaucoup de travail de leur part et qu'ils ont résolu par l'institution d'un Non-Marché, où viennent d'échanger chaque semaine les productions de la zone (pain, lait, fromage, fruits, légumes, etc.).

Mais il s'agit bien d'un "Non-Marché" parce qu'il fonctionne intégralement "à prix libre".

Extrait d'un article de Mediapart : https://www.mediapart.fr/studio/panoramique/la-zad-ca-marche-ca-palabre-cest-pas-triste

Tous les vendredis, les produits de la ZAD sont mis à disposition des habitant-es et des riverain-es à prix libre – chacun laisse l’argent qu’il veut ou peut, ou rien du tout, pendant le non-marché. Les caisses de ce marché non marchand – le seul endroit de la ZAD où tout le monde est à l’heure, entend-on parfois – abondent « Sème ta Zad ». Cette structure collective, créée pour discuter de l’usage des terres reprises par le mouvement, sert à coordonner les projets agricoles.

L’argent récolté est destiné à la lutte collective, et non à la vie quotidienne des habitant-es. Environ 20 000 euros y rentrent et sortent chaque année, selon une personne qui s’en occupe. Ils financent les achats de farine, gasoil, foin, pièces de rechange du matériel. La ZAD vit grâce aux gros événements – caisses de soutien à prix libre, tracto-vélo, info Tour, bar lors des grands événements – ainsi qu’aux dons, qui affluent sur le compte de l’association Vivre sans aéroport.

Que peut-il y avoir de moins "libéral et concurrentiel" que ce type d'échanges de biens qui visent avant tout précisément à les "démarchandiser" et à faire prévaloir les liens sur les biens ? Ce mode de fonctionnement répond au contrainte aux principes de "l'économie plurielle" de Karl Polanyi, en mettant en avant les principes de redistribution et de réciprocité pour l'accès aux biens.

Je m'étonne que l'on prenne sur cette liste comme base de discussion sur la ZAD ce texte écrit par des libertariens, qui me paraît franchement grossier. Il s'écrit beaucoup de choses infiniment plus intéressantes sur les rapports entre la ZAD, les Communs et la propriété.

Prenons par exemple, ces réflexions d'Etienne Leroy (grand connaisseur des questions de propriété foncière et des Communs) sur Reporterre : https://reporterre.net/Autour-de-la-Zad-la-bataille-politique-de-la-propriete-privee

Et si c’était tout cela, finalement, que la Zad remettait en cause, et qui lui valait une si forte réaction de l’État ?

« Ici, la question n’est pas de savoir à qui appartiennent juridiquement ces lieux, mais qu’est-ce qui est en jeu comme type de souveraineté, comme système supérieur qui fonde la légitimité », dit Grégory Quenet. « Dans les sociétés africaines, tout vient du bas, de l’intérieur des groupes, nuance Étienne Le Roy. Au lieu d’avoir besoin d’une justification venant de l’extérieur et du supérieur, elle vient du groupe qui formalise son projet. C’est comme ça depuis l’origine de l’humanité. »

La Zad n’en était pas arrivée à ce degré d’« unification ». Selon Prune, qui connaît bien Notre-Dame-des-Landes, « ce n’est pas un modèle de société postrévolutionnaire, ce sont des expériences, des gens qui tâtonnent ». « À la Zad, l’idée de base était que chaque groupe d’habitants se gère en commun, à partir de la collectivisation des ressources. Cela dit, les installations se sont faites de différentes manières, donc il y a des modes d’habiter et des pratiques très différentes. »

Pour Étienne Le Roy, « ce qui est en jeu derrière ces péripéties, c’est la réinvention des communs. Pas ceux du XVIIIe siècle, mais des néo-communs, des principes d’organisation et de partage qui s’inscrivent dans la société capitaliste d’aujourd’hui, avec des exigences de solidarité ». Ou en dehors du capitalisme, comme la Zad s’y essaye depuis des années.

Que des libertariens essaient de récupérer idéologiquement les expériences en cours sur la ZAD est une chose. J'ai envie de dire que c'est de bonne guerre, même si c'est intellectuellement profondément malhonnête, car leur individualisme méthodologique extrême ne peut que les faire passer à côté de la dimension collective profondément enracinée dans les pratiques des ZADistes, sans compter que leur rapport au "marché" ou à la "concurrence" n'a rien à voir avec la caricature dépeinte dans le document.

J'espère franchement qu'il y a assez de colonne vertébrale théorique au sein de la Coop des Communs pour ne pas tomber dans ce panneau grossier.

Entièrement d'accord pour participer à une réflexion sur Notre-Dame-des-Landes et je pense même que la Coop des Communs pourrait avoir des choses intéressantes à dire dans ce débat, mais certainement pas à partir de ces bases.